Proposition de loi Homicide routier (Discussion générale)
Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, la proposition de loi visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme, que nous examinons aujourd’hui, ouvre devant notre assemblée le débat sur notre politique pénale, c’est-à-dire sur le prononcé, l’application et l’exécution de la peine.
Avec 83 681 détenus au 1er juin 2025, pour 62 570 places, la surpopulation carcérale empêche la prison de répondre à ses missions : protéger la société, tout d’abord ; réinsérer, ensuite.
La solution bâtimentaire, le fameux plan 15 000 places, bien qu’elle soit nécessaire notamment pour remplacer les prisons insalubres ou inadaptées, ne pourra pas résoudre à elle seule cette question.
Ce constat, j’ai pu le faire dès mon premier rapport, au nom de la commission des lois du Sénat, sur le budget de l’administration pénitentiaire. En effet, pour suivre l’évolution actuelle du nombre de détenus, il faudrait construire un établissement par mois, ce qui est strictement impossible ! Le garde des sceaux a lui-même constaté que les objectifs du plan 15 000 places devaient être revus : il privilégie désormais des solutions modulaires, adaptées et ambitieuses.
Cette situation inacceptable aboutit à une impasse que les Français vivent douloureusement et qui explique largement le divorce entre eux et la justice de notre pays.
Les lois créant de nouvelles infractions sont de plus en plus nombreuses, le quantum des peines prévu par ces textes de plus en plus lourd, les peines prononcées de plus en plus sévères et la durée de détention de plus en plus longue ; pour autant, plus de 40 % des peines de prison ferme n’ont pas été exécutées en détention en 2023 !
De même, en raison de la surpopulation carcérale, les peines de prison ferme inférieures à un an sont quasi systématiquement aménagées.
Disons-le clairement, notre politique pénale dysfonctionne. En outre, elle est inefficace en ce qu’elle condamne trop et trop tard, ou pas du tout. Ne pas faire exécuter la peine ou libérer pour faire de la place constitue un remède pire que le mal.
Comme l’affirmait Beccaria, qui a déjà été cité aujourd’hui, « ce n’est pas la rigueur des châtiments qui prévient le plus sûrement les crimes, c’est la certitude du châtiment. La perspective d’un châtiment modéré, mais inévitable, fera une impression plus forte que la crainte vague d’une punition terrible, auprès de laquelle se présente quelque espoir d’impunité. »
Pour que la sanction retrouve tout son sens et toute son efficacité, il faut l’appliquer le plus rapidement possible après l’infraction. Que disent les gens aux maires ou aux élus locaux que nous sommes ou avons été ? « Il est de nouveau en liberté, alors qu’il a été arrêté avant-hier… »
En ce sens, l’exemple des Pays-Bas est éloquent. Le gouvernement néerlandais a en effet réformé sa politique pénale au début des années 2000 pour accroître la rapidité de la procédure. Aujourd’hui, si la justice néerlandaise envoie en prison pour des durées plus courtes, elle le fait aussi plus souvent : pour 23 % des condamnations, contre 15 % en moyenne en Europe. Les peines y sont plus courtes, mais elles sont certaines.
La proposition de loi de nos collègues députés Loïc Kervran et Agnès Firmin Le Bodo, dont je salue le travail, va exactement dans ce sens et répond donc en partie au dysfonctionnement de notre politique pénale.
Avec ce texte, il s’agit de rétablir la possibilité pour le juge de prononcer une peine de prison ferme, même inférieure à un mois, et de supprimer – enfin ! – l’automaticité de l’aménagement des peines inférieures à un an.
Je salue également le travail de notre rapporteur, Stéphane Le Rudulier, et de la commission des lois, qui a permis deux apports majeurs : rendre au juge la liberté de prononcer de courtes peines d’emprisonnement, qui puissent être réellement exécutées ; et mettre fin à l’obligation d’une motivation spéciale pour l’exécution des peines de prison.
Ce texte apporte aujourd’hui une réponse adéquate pour traiter rapidement la délinquance du quotidien et des mineurs, laquelle nécessite, le plus souvent, de courtes peines, prononcées le plus vite possible, dès le premier fait de délinquance.
Nous devrons demain poursuivre ce travail en facilitant les peines alternatives, comme les travaux d’intérêt général ou la probation, auxquelles le ministre d’État a fait allusion, qui sont elles aussi plus nombreuses et mieux appliquées aux Pays-Bas. C’est ainsi que nous lutterons contre le sentiment d’impunité et la lenteur, décriée, de notre justice. C’est ainsi que nous redonnerons son sens à la peine.
Le groupe Les Indépendants votera en faveur de cette proposition de loi.