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Proposition de loi "Se libérer de l'obligation alimentaire à l'égard d'un parent défaillant"

Publié le 
27.10.2025
 - Mis à jour le 
27.10.2025

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quel est l’objet de cette proposition de loi ? Son auteur, que je salue, souhaite donner à tout enfant, entre sa majorité et ses 30 ans, la possibilité de se libérer par un acte notarié de son obligation alimentaire envers un parent qu’il estime défaillant.

Comme tous ceux qui m’ont précédé à cette tribune, je comprends et salue les motivations qui sous-tendent ce texte. Personne ne peut rester indifférent à la souffrance d’un enfant victime de violences ou de négligence parentales. Toutefois, si le groupe Les Indépendants considère que la simplification des démarches est un objectif légitime, celle-ci doit se faire dans le respect des principes fondamentaux de notre droit.

En effet, malgré l’émotion, nous ne devons pas perturber l’équilibre de notre système juridique, ni compliquer les règles de façon inutile. Le principe cardinal qui vaut depuis toujours en droit de la famille est la fameuse « paix des familles ». Il repose sur l’idée que la famille constitue une sphère privée au sein de laquelle les relations entre parents et enfants doivent se régler, dans la mesure du possible, sans ingérence de l’État – l’objectif est de préserver l’harmonie familiale.

En conséquence, le principe de solidarité familiale consacré par les articles 203 et 205 du code civil repose sur la réciprocité, comme l’a très justement rappelé notre rapporteure. Les parents doivent assistance à leurs enfants de la même façon que les enfants, en retour, doivent des aliments à leurs ascendants en cas de besoin.

En permettant à une personne de se décharger de son obligation alimentaire unilatéralement par un simple acte notarié, la proposition de loi instaure une procédure inconditionnelle et extrajudiciaire de rupture des obligations familiales.

Ce caractère unilatéral s’oppose directement à ce qui fait vivre aujourd’hui les règles du droit de la famille, à savoir la réciprocité. Cela revient aussi, je veux le souligner, à faire jouer au notaire un rôle qui n’est absolument pas le sien. En effet, dans notre droit, l’acte notarié est destiné non pas à régler des conflits, mais à constater des décisions.

Par exemple, dans le divorce par consentement mutuel, dans lequel le notaire peut intervenir, la procédure se fait bien sans le juge. Mais il s’agit d’une procédure consensuelle, qui a pour objet la rédaction d’une convention après accord des parties, accord trouvé grâce à leurs avocats.

Dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, il s’agit d’une procédure conflictuelle qui nécessite donc, selon les principes fondamentaux de notre droit, l’intervention du juge.

Par ailleurs, le droit actuel permet déjà de répondre à la situation que vise cette proposition de loi.

L’article 207 du code civil autorise le juge aux affaires familiales à décharger un débiteur alimentaire lorsque le créancier a manqué gravement à ses obligations envers lui. Cette procédure judiciaire offre des garanties, préserve les droits des parties et permet d’atteindre, lorsque cela est justifié, l’objectif qui est celui de la proposition de loi.

En outre, et surtout, le dispositif qui nous est proposé renverse la charge de la preuve : il reviendrait au parent de démontrer qu’il a été bienveillant envers son enfant.

Demander à un parent de prouver sa bienveillance, c’est lui imposer de justifier de chaque instant d’une relation qui s’étend sur plusieurs années – au moins dix-huit –, exigence impossible à satisfaire. À partir de quand est-on bienveillant ? Quand commence-t-on à être défaillant ?

En vertu d’un principe fondamental de notre droit, il revient à celui qui allègue la faute de la démontrer. En l’espèce, nous ferions exactement l’inverse.

Enfin, l’imprécision des termes employés, « défaillance » et « bienveillance », utilisés alternativement dans le texte, constitue une extraordinaire cause de fragilité, qui sera une source de contentieux, ce qui est exactement le résultat inverse de celui qui est, à juste titre, recherché par l’auteur du texte.

Tout le monde contestera l’allégation de défaillance ! Entre la défaillance et la bienveillance, la différence est le plus souvent de degré. On n’est pas bienveillant ou défaillant : on est relativement bienveillant ou relativement défaillant.

Jusqu’à présent, notre droit permet d’éviter ce type de querelles. Évidemment, cela donne du travail aux avocats ; mais l’objectif du texte n’est pas d’éviter le recours à ces derniers…

Les auditions menées par notre rapporteure, Marie Mercier, dont je voudrais saluer la qualité du travail, ont d’ailleurs montré une opposition unanime des professionnels du droit, donc de ceux qui vivent ces situations.

C’est pourquoi, conformément à la position exprimée par la commission, le groupe Les Indépendants ne votera pas en faveur de cette proposition.

Portrait de Louis Vogel, sénateur Seine-et-Marne

Louis Vogel, sénateur de Seine-et-Marne

  • Professeur des universités et juriste
  • Vice-président de la commission des affaires européennes
  • Membre de la commission des lois
  • Membre du groupe Les Indépendants - République et Territoires
  • Juge à la Cour de Justice de la République
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